Filmer l’échographie obstétricale : entre souvenir, droit à l’image et responsabilité médicale

Ce texte a bénéficié d’une relecture attentive de Maître Julien Deyres, avocat spécialisé en droit de la santé et en réparation du préjudice corporel. Je le remercie chaleureusement pour ses précisions juridiques qui ont permis d’enrichir cet article tout en conservant sa vocation pédagogique et clinique.

Dans un monde saturé d’images et de contenus numériques, la salle d’échographie n’échappe pas à cette nouvelle norme : filmer son bébé à naître est devenu un réflexe courant pour de nombreux couples. Ce geste anodin, dicté par une volonté affective et mémorielle, interroge pourtant de manière profonde la pratique médicale. Entre lien de confiance, droit à l’image, enjeu de consentement et risque médico-légal, la présence d’un smartphone dans la salle d’échographie soulève des questions aussi sensibles que cruciales.

Cet article propose d’examiner les implications concrètes du phénomène, tant sur le plan humain que juridique. Il s’adresse à tous les professionnels de santé confrontés à ces nouvelles pratiques, qu’ils soient praticiens, échographistes, soignants ou responsables de structure.

 

Une pratique de plus en plus fréquente et banalisée

 Un réflexe du 21e siècle

Filmer pendant une échographie est devenu un réflexe presque systématique pour certains patients. L’acte n’est plus perçu comme exceptionnel, souvent sans même demander l’autorisation. Il est vu comme naturel, intuitif : 

"c’est notre bébé, c’est notre image, nous avons le droit"

 

Une dynamique affective plus qu’informative L’objectif n’est pas de documenter un suivi médical, mais de créer un souvenir. Les séquences filmées se concentrent sur l’écran de projection, capturant les images qui se succèdent : le visage en 3D, les mouvements du bébé, voire les instants attendrissants comme une main dans la bouche. La technique, les commentaires du praticien, les mesures : tout cela est souvent secondaire. L’intention est émotionnelle, pas médicale.

 

Filmer l’échographie obstétricale : entre souvenir, droit à l’image et responsabilité médicale

Le malaise du professionnel : perte de lien, modification du comportement

Le téléphone, un tiers qui rompt le lien thérapeutique

Ce tiers numérique devient un obstacle silencieux dans une relation qui repose pourtant sur la confiance et la parole.

Pour le professionnel,  le téléphone agit comme un perturbateur. Il modifie son attitude du professionnel, inhibe la spontanéité, change le ton de la voix, réduit les commentaires techniques ou chaleureux, et brise parfois l’échange avec la patiente. Il devient difficile d’être naturel de peur, que tout ce que « l’on dise soit retenu contre nous !» 

 

Le poids de la caméra : travailler sous observation

Être filmé sans y être préparé ou sans y avoir consenti génère une tension. Le professionnel n’est pas acteur, ni animateur : il est dans un acte technique à haute responsabilité. Se savoir filmé peut créer une retenue, voire une autocensure, qui risque de nuire à l’interprétation ou à l’interaction. Et surtout, cela pose une question éthique : a-t-on le droit de filmer quelqu’un en train de faire son métier sans lui demander son avis ?

 

Le risque médico-légal : quand l’image devient preuve

Une vidéo peut-elle être utilisée contre le praticien ?

En droit français, la preuve est libre en matière civile. Une vidéo filmée par un patient peut être recevable en justice... si elle a été obtenue de manière loyale. Un enregistrement réalisé à l’insu du praticien pourra en revanche être écarté pour manque de loyauté ou d’éthique.

La vidéo devra aussi être pertinente et probante : elle doit pouvoir démontrer un lien direct entre l’examen et un manquement, ce qui est très difficile à établir avec une échographie, un acte dynamique, soumis à l’interprétation en temps réel.

Précisions de Maître Deyres

Ces dernières années, la « jurisprudence » est toutefois plus favorable à l’admission des enregistrements clandestins en matière civile, s’ils sont « indispensables à la défense des droits individuels », et que cela ne porte pas « d’atteinte disproportionnée » aux droits des autres.

 La loyauté a donc tendance à s’effacer, ce principe est moins puissant qu’avant…

 Aujourd’hui, l’idée du raisonnement est de rechercher un équilibre entre le « droit à la preuve du patient » et le « droit à la vie privée du praticien »… Et c’est le juge qui en apprécie la proportionnalité.

 

Une responsabilité civile du praticien très encadrée

La loi est plutôt favorable aux praticiens. La faute médicale doit être caractérisée (faute grave, évidente, selon des critères d’intensité). Dans de nombreux cas, même si l’anomalie est découverte après coup, l’erreur d’appréciation ne suffit pas à engager la responsabilité, surtout si le cas était complexe ou les éléments discrets.

Une vidéo ne remplace donc ni l’expertise, ni l’analyse complète du dossier. Elle ne constitue qu’un fragment isolé, potentiellement interprété hors de son contexte.

Précisions de Maître Deyres

 Le principe de responsabilité des professionnels ou établissement de santé suite aux handicaps non décelés avant la naissance est issu de la fameuse loi « Anti-Perruche » (article 1 de la loi Kouchner de 2002), qui a codifié le principe «  Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. ».

Depuis cette loi, seuls les parents peuvent être indemnisés de leurs préjudices propres, et seulement en cas de faute caractérisée du praticien. 

 

Droit à l’image et vie privée du professionnel de santé

Filmer sans autorisation : une infraction pénale et civile

La loi est claire : filmer une personne dans un lieu privé sans son consentement est interdit (article 226-1 du Code pénal). Le cabinet médical ou la salle d’échographie est un lieu protégé, même si la patiente en est l'usagère temporaire. Le professionnel a un droit à l’image et à la confidentialité de son travail.

Un enregistrement diffusé sur les réseaux sociaux peut exposer le patient à des poursuites, notamment en cas d'atteinte à l’image, à la réputation, ou à la vie privée du praticien.

Précisions de Maître Deyres

L’infraction « d’atteinte à la vie privée » prévue à l’article 226-1 du Code pénal est constituée en cas d’enregistrement :

  • Des paroles d’une personne,
  • De l’image d’une personne dans un lieu privé,
  • De la localisation d’une personne.

 

Précautions à adopter
  • Informer clairement en amont : afficher un message dans la salle est préférable. En complément, il est possile d'informer oralement que la vidéo est interdite sauf autorisation.
  • Exprimer un cadre clair : autoriser une séquence filmée à la fin de l’examen, à condition que tout soit normal.
  • Demander l’effacement immédiat en cas de film à l’insu.

 

Prévention : une politique de cadre souple et transparent

Le formulaire de consentement : utile ou illusoire ?

Des formulaires existent, comme celui proposé par le Collège national d’échographie. Mais leur impact réel reste incertain. Peu lus, peu compris, rarement intégrés dans une démarche explicative, ils ne constituent pas une garantie solide.

Mieux vaut établir une charte simple, orale ou écrite, expliquée à chaque début de consultation.

Précisions de Maître Deyres

Le formulaire est une preuve écrite et cela renforce donc la sécurité juridique. C’est un document contractuel, qui est individuellement engageant pour les patients, à l’inverse de la charte qui est un document d’information collective.

 

Anticiper, c’est protéger
  • Préparer la consultation en amont : dès le premier rendez-vous, expliquer les enjeux des examens à venir.
  • Préciser les étapes techniques : mesurer la clarté nucale, rechercher une anomalie, etc.
  • Autoriser à filmer uniquement les séquences choisies : à la fin, quand tout va bien, sur demande explicite.
  • Utiliser les outils numériques déjà disponibles : applications connectées aux échographes, transfert sécurisé d’images fixes de qualité.

 

Perspectives : quelle place pour l’image dans la médecine de demain ?

Humaniser la technologie

Le désir de filmer est un besoin émotionnel : il ne s’agit pas de surveillance, mais de mémorisation affective. Il ne faut pas le balayer d’un revers de main, mais le canaliser. Une stratégie possible : intégrer volontairement des séquences “souvenir” dans le protocole, à condition qu’elles soient dissociées du temps médical.

 

Former les équipes à ces enjeux

Tout professionnel de santé devrait être formé à la communication autour de l’image : expliquer, rassurer, négocier. Il s’agit d’un nouvel espace éthique : entre science, émotion et droit.

 

Pour conclure, la vidéo dans la salle d’échographie n’est pas une simple tendance. C’est le symptôme d’un changement de société où l’image devient un outil de mémoire, de preuve, de lien. Pour le professionnel de santé, il ne s’agit pas de rejeter ce mouvement, mais de le comprendre, l’encadrer et le cadrer à la lumière de son expertise, de son éthique et du droit.

La priorité reste la qualité de l’acte médical, le respect du lien de confiance et la sécurité juridique du professionnel. À l’heure où les smartphones sont omniprésents, fixer un cadre clair, souple mais ferme, est essentiel pour éviter des conflits inutiles, protéger les équipes et respecter les familles.

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